Les veilleurs de chagrin | Nicole Roland

S’ils n’en parlent pas, ils ont choisi leurs valeurs, et se tiennent devant les tombes comme des gardiens de mémoire. Les disparus ne seront plus condamnés à errer dans le chagrin de leurs proches. Ils reprendront leur place parmi eux, honorés dans leur mort qui pourra enfin être dite, pleurée, dépassée. Tout compte fait, c’est cela que nous sommes : des veilleurs de chagrin. [p. 164-165]
EN TROIS PARTIES, Nicole Roland raconte la lente reconstruction de sa narratrice, secouée par la maladie d’Alzheimer qui frappe sa mère et rend tout pardon du passé impossible, ainsi que par la mort de son père. Adressée à son psychologue, la narration est très introspective et autocentrée. Quelques faits sont narrés, mais avant tout les sentiments de désarroi, de ne pas parvenir à se redresser ou à retrouver des relations harmonieuses avec les autres et soi-même. La deuxième partie m’a davantage plu, en s’éloignant des préoccupations de la narratrice et en abordant le travail des « veilleurs de chagrin » au Kosovo. Chargés d’exhumer les cadavres des fosses communes et de les identifier, ils interrogent le travail du deuil sous l’angle de la mémoire et du besoin de vérité : comment cesser d’espérer à un retour avant d’avoir la certitude de la mort ? Comment faire son deuil lorsque des questions restent en suspens ?

Pour aborder ce sujet difficile, Nicole Roland a su déployer une écriture délicate qui n’occulte pourtant rien des réalités décrites, ni de leur horreur. Elle écrit crûment le désespoir, non sans une note d’espoir diffuse, qui est celle qui demeure à l’issue de la lecture. Si le sujet est noir, le roman est lumineux, sans pathos, ni optimisme forcené ; d’une grande justesse stylistique.
Est-il possible que même au plus profond du désespoir, de l’abjection, une lueur subsiste ? Une réponse au désenchantement du monde dont nous faisons tous l’apprentissage, à plus ou moins brève échéance ? [p. 164]

Les veilleurs de chagrin - N. Roland

Les veilleurs de chagrin de Nicole Roland

Actes Sud (Arles), coll. Un endroit où aller, 2012 – 1re publication

* Conseil de Marilyne *

11 commentaires:

  1. Ravie de te lire sur cette lecture, un grand livre, dense, éprouvant et pourtant comme tu l'écris lumineux. Je regrette que Nicole Roland ne nous offre pas un troisième roman.

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    1. Je me réjouis d'avoir encore son premier roman à lire et garde l'espoir d'un troisième, même si ça ne semble pas parti vers cette voie, malheureusement...

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  2. Je ne sais pas trop à quoi m'en tenir. La première partie autocentrée n'a rien pour me plaire, a priori. Mais si vous mentionnez que le livre est par ailleurs dense et lumineux, pourquoi pas.... A voir.
    Mais, petite question : pourquoi l'auteure n'écrirait-elle plus de roman ? Est-elle malade?

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    1. J'ai encore été trop évasive alors. L'article de Marilyne, que j'ai mis en lien, est plus précis quant à l'histoire et la narratrice ; j'ai préféré insister sur le style. Un roman entièrement autocentré comme la première partie ne m'aurait pas plu, la deuxième partie remet celle-ci en perspective.
      L'auteure n'est pas malade, à ma connaissance en tout cas, mais n'a pas publié de nouveau roman depuis celui-ci en 2012 et ne semble pas donner de signe de vie d'un point de vue littéraire, d'où mon impression que ce n'est pas pour tout de suite et que ça ne semble pas parti vers cette voie.

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  3. Après quelques recherches, j'ai trouvé une publication récente de Nicole Roland, dans un ouvrage collectif : "Géodésiques: dix rencontres entre science et littérature" aux éditions L'arbre de Diane.

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  4. Je l'ai trouvé très très sombre et peu lumineux. J'ai eu l'impression que l'auteure s'est laissée envahir par la dépression. Il m'a moins plu que Kosaburo 1945. Et je me dis qu'après un tel écrit( où elle se livre totalement), il doit être difficile de reprendre la plume pour construire une nouvelle fiction.

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    1. Je trouvais moi aussi la dépression très prégnante, mais la lumière au bout du tunnel restait présente à mes yeux. Quand je disais lumineux, je pensais à une lumière froide, qui met en valeur la noirceur tout en l'éclairant. Je suis maintenant curieuse de lire Kosaburo 1945, dont le sujet me parlait moins a priori.

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  5. Bon allez, je dis que je le lis l'année prochaine, en avril ? (Et peut-être avant... qui sait !!)

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    1. Je compte sur toi ! (Qui sait, je pourrais t'accompagner avec Kosaburo, 1945, et on ne le programmera pas en dernière LC cette fois ;))

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  6. Ce sont deux histoires croisées (le Kosovo et la fille) ou bien c'est la même trame?. Je suis très sensible à cette thématique puisqu'effectivement Alzeimher empêche tout, les explications, le pardon, la mise en point. Ceci dit, comme tu le sais, je suis les narrations introspectives et autocentrées, car je crains toujours une certaine complaisance de la tristesse et le désespoir, je ne suis donc pas certaine d'être la bonne lectrice pour ce livre, dont malgré tout, je trouve le titre magnifique.

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    1. C'est la même narratrice et protagoniste pour les deux histoires, donc je dirais la même trame. J'ai du mal avec les narrations si introspectives et autocentrées, mais la partie centrale apporte vraiment quelque chose de plus à l'ensemble pour moi. Je te dirais bien de le commencer pour te faire une idée, mais je crains que tu n'abandonnes comme j'aurais pu le faire sans le conseil appuyé de Marilyne. Le premier roman de l'auteure te conviendrait peut-être davantage ?

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