Claude Louis-Combet, entre érotisme et sacré

Je ne fais pas œuvre d’historien. Sur le bout de chemin parcouru ensemble dans notre relation au passé, ses pas et les miens se perdent les uns dans les autres. [Le nu au transept, p. 21]
PLUTÔT QU’ŒUVRE D’HISTORIEN, Claude Louis-Combet accomplit celle d’un « réécriveur » dans ses deux parutions à l’Atelier contemporain, où il interroge le lien entre sacré et érotisme. Suzanne et les croûtons se présente comme une réécriture contemporaine du récit biblique consacré à Suzanne épiée par les vieillards, à mi-chemin entre le fantasme et la réalité. Le nu au transept rappelle quant à lui La morte amoureuse de Théophile Gautier dans son début, avant de se déployer en tant que réflexion théologico-philosophique. 


Érotisme et sacré

Comme s’ils n’étaient là, depuis toujours, qu’afin de se tenir au plus près et de la contempler, elle, la chaste Suzanne, du fond de leur impotence et de leur nullité, offrant l’ombre de leur désir et son vide derrière le souvenir, on les avait rassemblés, formant chambre d’hôpital général, section des vieux Croûtons, dans la grande maison du bord de l’eau, ou bordeleau, intitulée Clinique du Confluent. [Suzanne, p. 1/39]
Comme l’indique le titre, Suzanne et les Croûtons s’inscrit dans une veine assez humoristique. L’écriture crue, le ton grivois et le lieu du récit le confirment d’ailleurs rapidement, de même que la typologie des vieillards dénommés « croûtons ». Bien qu’ils ne puissent plus le manifester physiquement, ceux-ci sont hantés par le désir, par leurs souvenirs érotiques et par l’envie d’une femme. La fable aurait pu s’arrêter à cette dimension érotique, mais le prénom de l’infirmière annoncée – telle le Messie –, Suzanne, fait entrer le sacré dans le récit. Il ne s’agit plus d’une simple attente, mais de « l’Avent du grand retour de la femme » [Suzanne, p. 12/54], ni de n’importe quelle femme, mais de « l’incarnation véritablement paradisiaque de l’éternel féminin » [Suzanne, p. 12/54]. Chaque scène, chaque geste devient une réminiscence de ceux accomplis par la Suzanne biblique, à ceci près que celle de Claude Louis-Combet est consciente de son rôle et consentante.
Elle incarnait, comme Ève, comme Bethsabée et quelques autres, la séduction naturelle de la beauté et l’aspiration de l’être tout entier à l’embrasement par le sexe et la possession à mort. [Suzanne, p. 16/59]

Dans Le nu au transept, c’est à l’inverse l’érotisme qui s’impose dans un environnement sacré, une femme nue qui fait irruption dans une église et la vie d’un futur prêtre. Parvenant à se maintenir au seul stade du désir, sans jamais approcher de cette femme qui se met en scène auprès de la statuaire sacrée pour lui seul, il médite sur sa foi, ainsi que sur la place du féminin et de la sexualité dans le christianisme. Les photographies d’Yves Verbièse, qui ont inspiré le texte de Claude Louis-Combet, participent à ce même entremêlement et illustrent cette réflexion : le corps féminin, la statuaire catholique et les symboles de l’eucharistie se superposent les uns aux autres pour représenter leur indissociabilité.



Mystère féminin

Joseph se disait que la beauté du visage retenait dans son apparence toute la clarté et toute l’obscurité d’une énigme, celle de l’être, sans commencement ni fin, et il poursuivait sa pensée, se disant que quand bien même la femme dévoilerait tout ce qu’elle tient caché, comme le secret de tous ses secrets, le mystère de son être ne serait pas même entamé, pas même soupçonné. [Le nu au transept, p. 49]
Outre par la réunion du sacré et de l’érotisme, les deux textes de Claude Louis-Combet se rapprochent également par le mystère féminin qu’ils expriment, à défaut de pouvoir le découvrir tout à fait. La femme, dont sont privés les Croûtons et dont se coupe le prêtre en devenir, n’en devient par cette absence que plus fascinante et, par son altérité, incompréhensible pour l’homme. Le nu au transept développe particulièrement cette question, qui rejoint celle du mystère religieux, notamment celui de la Trinité.

Le mystère féminin est aussi celui de la réalité de ces deux femmes, Suzanne et Maria : existent-elles réellement en chair et en os, ou ne sont-elles que fantasme ? La seconde possibilité n’est qu’effleurée dans Suzanne et les Croûtons – dont le symbolisme outrancier situe le texte sur le plan de la fable plutôt que du récit réaliste –, mais très clairement évoquée dans Le nu au transept : Joseph étant le seul à voir cette jeune femme nue, peut-être n’est-elle que le fruit de son imagination, à la suite d’une première apparition dans la rue. De plus, peut-être le narrateur, l’ami qui a recueilli cette confidence et la relate, « rêve[-t-il] un peu en écrivant comme [Joseph] avait rêvé, lui-même, en priant dans la cathédrale de Bourges. » [Le nu au transept, p. 89] Le mystère demeure, intact. 

 
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J’évoque rarement le livre en tant qu’objet, mais il me semble intéressant de le faire pour ces deux parutions de grande qualité. Le papier est épais, agréable au toucher, légèrement glacé pour Le nu au transept, afin de mettre au mieux en valeur les images d’Yves Verbièse. Suzanne et les Croûtons n’est pas illustré, mais précédé d’un fac-similé du manuscrit de l’auteur ; le lecteur a donc le choix entre l’écriture manuscrite ou tapuscrite, ainsi que le plaisir bibliophilique d’un ouvrage différent. 


Le nu au transept et Suzanne & les Croûtons

Suzanne & les Croûtons de Claude Louis-Combet | L’Atelier contemporain (Strasbourg), 2013 – 1re publication

Le nu au transept de Claude Louis-Combet (nouvelle) et Yves Verbièse (photographies) | L’atelier contemporain (Strasbourg), 2014 – 1re publication 
 
* SP reçus de l’éditeur *

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