Tout a déjà été dit et écrit mille fois. Mais pas par moi. Pas par eux. Et c’est dans ce paysage-là que je veux plonger. Combler le canyon entre les maux et les mots. Trois chapitres : addition ; division ; soustraction ; la multiplication, ce sera pour une autre fois. L’algèbre a d’autres imprécisions rassurantes. [L’écrivain, p. 12]
DEUX FEMMES et un homme, une histoire d’amour qui débute
pendant qu’une autre s’achève. Un tel schéma narratif est bien sûr connu et
surexploité dans la littérature ou toute autre forme d’art. Pourtant, Catherine
van Zeeland parvient à se l’approprier à son tour et à en proposer une
variation très réussie, tout en jouant des références littéraires (Talleyrand avait bien raison quand il disait
que la beauté, c’est quinze jours de gagnés dans la séduction. [Sophie, p.
38]) et musicales (« J’ai peur que
tu sois sourd, j’ai peur que tu sois lâche », comme dit la chanson. [Julie,
p. 63]) qui l’ont précédée.
Après trois brefs chapitres dans lesquels chaque personnage
présente en quelque sorte son rôle – la nouvelle amante pour Julie, celle qui
vit les illusions de l’amour, tandis que Sophie, l’épouse peu à peu quittée,
les perd lentement, et l’homme pris entre deux femmes pour André –, le roman
débute par l’addition : celle d’une troisième personne au sein du couple. Qu’il
s’agisse de Sophie et d’André ou de Julie et André, toujours l’ombre de la
rivale reste présente, au détour d’un regard rêveur, d’un baiser qu’on oublie
ou d’un message reçu sur le téléphone. Vient ensuite la division, qui frappe le
couple formé de longue date par Sophie et André : ce qui n’était d’abord
qu’une passade, un petit accroc dans le tissu amoureux, s’amplifie, en
provoquant quelques conflits et des tentatives de rapprochement vite avortées.
Enfin, Sophie s’exprime seule dans le chapitre de la soustraction, en faisant
lentement l’apprentissage de la vie célibataire et en reconstruisant son
identité, non plus en tant que « femme de », mais en tant que femme et qu’elle-même tout simplement.
Un tel récit présente peu de véritable suspense, et son
intérêt est ailleurs. Par l’alternance des prises de parole, judicieusement
choisies en fonction des chapitres cités ci-dessus, Catherine van Zeeland évite
la caricature de l’un ou l’autre personnage : aucun n’est rendu ridicule
par son rôle, et tous apparaissent terriblement humains. Les instants sublimes
aussi bien que la lâcheté sont narrés avec plus ou moins de fierté à la
première personne du singulier. Le style s’en trouve souvent oralisé, notamment
dans les dialogues, tout en conservant une certaine élégance. L'auteure
maîtrise plutôt bien cette technique narrative et parvient à dégager de la
poésie au cœur d’une certaine crudité (de la réalité et des mots).
Enfin, bien plus qu’une belle histoire d’amours, Infid’elles est une somme de réflexions
à ce sujet, en particulier grâce au personnage de Sophie qui traverse l’ensemble
du roman. En perdant l’être aimé, elle s’interroge sur ce qui lie les humains
entre eux, les attire les uns vers les autres, avant de les séparer. Elle
réfléchit également à la notion du couple et à l’identité des personnes qui le composent, lorsqu’elle
doit « se reconstruire », c’est-à-dire retrouver une image d’elle-même
différente et ailleurs : en elle-même, et non plus dans le regard d’un
autre.
Ce n’est au fond qu’au début et à la fin d’un amour qu’on dissèque la relation : entre les deux, on la vit. [Sophie, p. 85]
Un roman d’amour qui s'inscrit intelligemment dans le genre.
Infid’elles de Catherine van Zeeland
Avant-Propos (Waterloo), 2013 – 1re publication
J'aime bien ton billet ! Je ne sais pas si j'aurais été attirée "seule" par ce livre, mais pourquoi pas, à te lire ! La couverture, une fois de plus, est très belle aussi...
RépondreSupprimerTant mieux ! Je suis contente que l'article t'ait plu et tentée, c'est un très beau roman, tout comme sa couverture (que tu avais déjà appréciée lors de mon achat à Bruxelles :))
SupprimerIl me semblait bien avoir déjà vu ce livre quelque part... C'était donc à Bruxelles ;-) Personnellement, ça ne m'attire pas plus que ça, j'avoue.
RépondreSupprimerEt oui, je l'avais acheté chez Tropismes, puis emmené à la Foire du Livre (il a là aussi occasionné une belle rencontre avec l'auteure).
SupprimerJe ne peux pas toujours réussir à susciter les tentations... C'est l'histoire d'amour qui ne te tente pas ?
Il a l'air super intéressant, ce bouquin.
RépondreSupprimerIl l'est ! Je l'ai vraiment beaucoup aimé et suis contente que Laeti l'ait si bien remis en lumière et d'avoir pu en parler avec elle.
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